CHER JOURNAL d'où je viens ..
Sueur. La chaleur ambiante est insoutenable. J'étouffe sous cet air de mois d'août aromatisé à la pollution. Jeans beaucoup trop large, retombant sur mes hanches, débardeur moulant mon buste et bandana retenant mes cheveux noirs en arrière; je traine des pieds dans les rues des quartiers mal famés de New-York. L'asphalte est devenu mon désert. Brûlant. Décourageant. Je sais même pas où je vais, où ces foutus pieds, dans ces foutues basket me trainent. Juste loin, loin de ma mère qui s'aligne ses rails sur la table basse du salon. Les mains dans les poches, j'arpente les rues jusqu'au parc, là où mes potes trainent et dealent. Personne. Un coup d'œil à ma montre qui indique l'heure de manger. Un sourire se pointe sur mes lèvres. Ils sont tous chez Susana à coup sur.
Susana c'est un peu notre mère à tous. Son mari a été renvoyé au Mexique, à cause de son statut de "sans papier", du coup on est comme sa deuxième famille, faut dire qu'elle nous a vu grandir. Vous voyez la caricature de la latine qui se penche à la fenêtre pour gueuler qu'on fait trop de bruit, et tout ça dans sa langue maternelle bien sur, et bah c'est elle, Susana. Toujours à nous foutre des coups de pieds au cul quand on déconne, et qui nous invite ensuite à venir manger des fajitas. Histoire de nous remplir le ventre. Certes on est communautaire, les latinos restent entre eux, tout comme les blacks ou les blancs, c'est comme ça dans les quartiers. On est une grande famille, et ça c'est cool quand notre véritable famille nous a lâché.
Arrivée dans la rue de la fameuse mexicaine, j'entends déjà la musique sortir des fenêtres et mes potes qui crient, rigolent, s'amusent comme des gosses. Leurs visages durs et fiers sont loin une fois qu'on est entre nous. Ça sert plus à rien de se cacher derrière un masque. J'arpente les escaliers défraîchis tout en retenant mon baggy, histoire que je trébuche pas. Arrivée au bon étage, je prends pas le temps de frapper et entre. Ils sont tous là, la peau mate, des vêtements trois fois trop grands pour eux, leurs regards rivés sur moi, le silence se fait. Ah oui, détail important, je sors de 3 mois de taule. C'est Susana qui réagit la première.
T'as maigri ! Déjà que t'étais pas bien épaisse ! Sourire, elle craque, ce ton indifférent qu'elle a prit, elle ne sait jamais le garder bien longtemps, alors elle s'approche et me prend dans ses bras. Pas trop longtemps, juste histoire de me faire comprendre que je suis encore la bienvenue. Les brouhahas reprennent alors, les moqueries, les rires. Je m'assois près des autres, sur un vieux canapé en cuir et me prépare un fajitas. C'est comme si je n'étais jamais partie.
Fallait bien avouer que des séjours en prison j'en avais fait. Que ca soit pour violence, vol, deale. Mon casier judiciaire était aussi vierge que Maria. Maria c'est la pute du quartier, celle qui s'est fait tous les mecs et qui affiche clairement son côté nymphomane. Bref, cette fille a aucune importance dans l'histoire, par contre le gars assis à coté de moi entrain de manger comme s'il l'avait pas fait depuis des mois, c'est Javier. Et c'est lui qui est a l'origine du plus grand tournant de ma vie.
Ça c'est passé un peu plus tard, il faisait déjà nuit, et toujours aussi chaud. Après les fajitas de Susana, on est allé se poser sur le toit, tout les deux. Ça nous arrivait souvent de nous isoler des autres, pour discuter de choses plus ou moins sérieuses. Assis sur le muré, les pieds dans le vide, on observe le Bronx plongé dans la nuit. Lui il fume, pas de drogue, juste des Marlboro light. C'est un gars bien Javier. L'un des seuls qui a eu son diplôme et qui se permet de rêver à un avenir meilleur et donc en toute logique ailleurs. Non pas qu'on l'aimait pas notre quartier. J'y avais trainé mes Nike depuis que j'étais gosse. C'est juste qu'ailleurs c'était peut-être moins étouffant.
Ta mère ca va ? La voix grave de mon pote me sort de mes pensées. Fronçant un instant les sourcils je détourne les yeux, j'aime pas parler d'elle, il le sait, combien de fois je me suis engueulée avec lui à cause de ça. Mais il est têtu, et il me répondrait que les liens du sang sont plus important que n'importe quel non-dit. Le problème c'est qu'il n'y avait que ça, des non-dits, entre nous. Rien d'autre. Rien de plus qui pourrait me faire penser qu'elle a agi, un jour, comme une mère, et pas comme une camée. Laissant planer un instant le silence ou plutôt les bruits de la ville, je me décide enfin à lui répondre.
Toujours la même galère. J'aimerai dire que j'en souffre pas, que je m'en moque, mais ça fait mal, à chaque fois que j'y pense, à chaque fois que je la vois se détruire à coup de poudre blanche dans les narines ou de liquide dans les veines. Son avant bras vint se caler sur mon épaule, un demi-sourire aux lèvres, il plante ses yeux dans les miens.
Et toi ? Je lui rends son sourire et tourne la tête vers l'horizon dessiné par des immeubles.
Je rêve d'autre chose.où je vais ..
Ce autre chose j'avais aucune idée de ce que ca pouvait signifier. De quoi je rêvais vraiment. Partir, c'était tout. Il avait fallut une phrase à Javier pour me donner envie, m'insuffler le courage suffisant.
En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout. J'ai appris bien plus tard que cette phrase n'était pas de lui, mais on s'en fout. C'est la raison pour laquelle je me retrouve aujourd'hui sur la route, un seule sac à dos comme bagage, et une centaine de dollars en poche que j'avais pu me faire de quelques deal avant de partir. Pas de voiture, je voyage en stoppe ou en bus, je bosse à droite à gauche. Après avoir traversé le pays, je décide d'aller voir une tante dans le Nevada, elle a réussi sa vie elle, loin du béton et de la grande ville. C'est là que j'ai entendu parler pour la première fois de Clifton. Qu'une petite ville de 30 000 habitants arrive à se forger une réputation dans tout l'État d'Arizona m'avait rendue curieuse et j'ai donc décidé qu'elle serait ma prochaine destination.
Regards suspicieux. Questions directes. Motos qui traversent les rues à toute vitesse. Clifton c'est un peu le FarWest des temps modernes. Et ca me plait. Dès le premier soir j'ai rencontré Lyla, après deux trois verres, elle m'a racontée son projet et très vite m'a proposée de m'ajouter au groupe. J'ai accepté, sans trop prendre ses paroles en compte, mais le lendemain le rendez-vous était fixé.
J'attends devant un petit établissement au centre ville, du nom de G4L. Nom qui me dit vaguement quelque chose, mais la tequila d'hier soir s'est chargé de brouiller les pistes. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvre, une blonde me fait signe d'entrer. Elles sont toutes là, toutes ces filles dont Lyla m'a parlé la veille. Elles s'entrainent, dansent, jonglent avec les bouteilles. J'ai du faire mes preuves ce jour là, et elles m'ont acceptée, sans aucune condition que d'être là pour elles, au même titre qu'elles seraient là pour moi. Ma nouvelle famille se trouvait dans ce bar et je ne pus m'empêcher d'avoir un pincement au cœur en pensant à Javier, Susana et les autres.