Amber poussa la porte de la cantine de l’hôpital pour prendre un casse croûte et profiter de sa pause ainsi que de son tout dernier achat. Habillée d’un chemisier bleu clair et de sa jupe noire tombant en haut des genoux mettant en valeur ses fines jambes, Amber avançait d’un pas décidé. Elle remit automatiquement son stéthoscope autour du cou, un vieux tic qu’elle avait depuis des années désormais. Elle salua poliment la jeune femme qui s’occupait des repas avant de prendre à la volée une salade, une pomme et sa bouteille d’eau. Elle s’installa à l’écart de ses collègues pas d’humeur à parler, elle avait autres choses en tête. Elle posa son plateau sur la table sortie de sa poche ce petit carnet bleu, dont l’inscription en doré indiquait « Diarie ». Elle resta ainsi immobile, observant cet objet fraichement acheté se mordillant légèrement l’ongle du pouce. Elle hésita plusieurs fois, repoussant le journal pour commencer son repas. Mais très rapidement, elle l’ouvrit, sortit son stylo et commença de sa plus belle écriture à déposer ses pensées les plus intimes…

« Je ne sais par où commencer…
Je ne sais pas ce qui m’a pris d’acheter ce maudit journal tout à l’heure alors que je me rendais à mon travail. Je n’ai plus quinze ans, à quoi bon tenir un journal intime à mon âge. Mais je ressens cet étrange besoin de poser sur le papier mes pensées, comme si de cette manière j’arriverai à mieux affronter la vie qui m’est offerte, trouver une solution à cette douleur qui me ronge de l’intérieur depuis maintenant deux ans. Deux interminables années se sont écoulées depuis ce néfaste jour où tes collègues m’ont annoncé la terrible nouvelle. Ils n’ont pas eu le temps de t’emmener à l’hôpital que tu étais déjà mort, tu es mort ainsi, comme tu as toujours vécu, pour ton travail, pour cette ville… Mais quelle ville… Ma ville…

C’est une journée de janvier que je vis le jour pour la première fois, dans cette bonne ville de Clifton. Ma mère n’a pas beaucoup souffert pour me mettre au monde et d’après ce qu’ils se disaient dans ma famille, j’étais désirée… Je veux dire, que ma venue était attendue, ma mère a fait deux fausses couches avant ma naissance. Je n’ai rien à redire sur mon enfance nous n’étions pas très riches, mais pas pauvre non plus, une existence des plus normale dirons nous. J’ai toujours admiré mon père pour sa force de travail, sa détermination ainsi que la douceur de ma mère. Je fus fille unique, le petit miracle de la famille si on peut dire. Puis, j’ai grandi et ma passion pour les études laissa place à celle pour les garçons, même si utiliser le terme « les » est surement de trop. Bref, j’ai connu ce que toute femme connaît à cet âge-là, le premier amour, les premières fois, les premières émotions, pleurs et autre, rien de bien extraordinaire. Tout ça dans les bras d’un homme, Saul… Je ne pensais pas qu’à l’époque on en arriverait là tous les deux, c’est si compliqué et simple à la fois. Il est là quand je me sens désespérément seule, mais pouvons-nous avoir une relation simple et normale ? Je ne pense pas, nous sommes trop… Et puis le temps passe… Et j’ai grandi et fait mon internat sans vraiment quitter cette ville, j’y étais bien trop attachée.

C’est un lundi après-midi que j’ai rencontré le père d’Adrian… Je me rappellerai toute ma vie de notre rencontre, je venais de griller un stop et je me suis fait prendre, une horreur au début et puis je suis tombée sur lui, ce jeune policier très séduisant. Il m’a plus tout de suite, mais j’étais bien trop fière pour lui montrer. J’ai attendu qu’il m’invite ce qu’il fit et notre histoire commença de cette manière. Je t’en veux toujours tu sais, où que tu sois… Je t’en veux de nous avoir abandonné Adrian et moi… Cet accident, alors que tu faisais comme d’habitude ton devoir… Nos années de bonheur ne suffisent plus, j’ai l’impression que ton souvenir disparaît, as-tu pensé un seul instant à ton fils ? Adrian… Ma vie… Ma raison de vivre… John, tu me manques un peu plus chaque jour, y arriverai-je ? A vivre encore… A… »

Infirmière ▬ « Docteur Wilson, on vous demande ! »
Amber ▬ « J’arrive ! »

Un petit sourire apparu sur le visage surpris d’Amber. Elle ne s’attendait pas à voir cette infirmière dans la cafétéria en cette heure de la journée, mais apparemment elle ne pourrait pas rester tranquillement installée derrière sa chaise avec comme seule occupation un nouveau journal. Elle le glissa délicatement dans sa blouse avant de jeter le contenu du plateau dans la poubelle la plus proche, haussant légèrement les épaules *Quel gâchis surtout !* Elle suivit alors la jeune femme, vers ce qui l’attendait, son boulot. La chirurgie fut comme un don pour elle, une destinée en quelques sortes. Elle sauva pour la première fois ce vieillard, qui venait de faire une mauvaise chute, c’était leurs voisins, un homme qu’elle connaissait depuis toujours. Quand elle la vu dans cet état, elle ne se posa pas la moindre question elle fonça tête baissée vers ce qui s’avéra plus tard sa vocation. Désormais chirurgien à l’hôpital, elle ne se voit pas faire autre chose et puis dans un sens elle sauve des vies. Par moment, elle ne supporte plus ses jeunes, qui ont l’âge de son fils entrant dans l’hôpital après un accident. Quel accident ! S’ils ne jouaient pas avec des armes à feu, rien n’arriveraient. Mais, elle ne peut pas refaire le monde, elle n’en a pas les moyens, elle agit comme elle l’a toujours fait, avec son cœur. Elle sauve ses gamins, en croisant les doigts que la morgue ne viendra jamais les accueillir.
21H35, salle de repos de l’hôpital.
Elle venait d’opérer une jeune fille de l’appendicite, une opération banale qui ne demandait pas beaucoup de travail pourtant elle était exténuée. Elle s’installa dans cette salle de repos, dans le plus gros des canapés avant de s’y affaler dignement. Elle posa ses mains dans les poches de sa blouse quand elle sentit quelques choses de durs… Son journal, rouvrant la page elle relu les dernières phrases et soupira longuement. Sortant son stylo elle continua…

« Je veux sa mort, les Black Bullets, Jared… Le coupable dans cette histoire… c’est comme une obsession… Les premiers mois après la mort de John, je les voyais partout. Je me voyais là en face d’eux en train de cracher tout ce que j’avais sur le cœur, je le tuais de mes mains, moi un docteur ? Ne suis-je pas censée sauver des vies ? Pas la sienne, je la veux… Je suis prête à tout, c’est comme si je ne pourrais vivre une vie normale s’il respire encore, je veux voir son corps inerte devant mes yeux et pour ça j’ai passé ce pacte avec Saul. De la folie ? Non, je peux tout lui demander, il me connaît tellement. Je le remercie pour tout ce qu’il m’apporte, au-delà de notre pacte, je me sens si différente avec lui, j’oublis ce lourd poids qui pèse sur moi, je redeviens cette adolescente qui ne voyait que par lui, follement amoureuse. Oh qu’il ne devrait pas lire ce journal ! Une bouffée d’air frais, quand le bonheur vous a oublié. Et puis il y a Adrian, la prunelle de mes yeux, le sang qui fait battre mon cœur. Mon enfant… S’il lui arrivait quelques choses je… »

Elle s’arrêta un instant, un pincement au cœur à l’idée de perdre un jour son fils. Elle ne l’avait pas réellement désirée, n’était pas prête pour avoir un enfant. Pourtant, elle ne regrettait rien, il est tout pour elle, sa famille, sa vie. Elle pourrait tuer pour lui, soyez en sûr… Elle reprit son écriture, rayant la dernière phrase.

« Même si je ne le montre pas à mon fils, même si je suis parfois trop autoritaire et derrière son dos, je veux le protéger, je veux venger mon mari pour un meilleur avenir pour Adrian. Même si cette jolie beauté qui tourne un peu trop autour de lui, commence réellement à me taper sur le système. Qu’est ce qu’elle veut ? Profiter de lui et ensuite ? Adrian ne supportera pas ça, tromperie, mensonge…

Je suis lasse de tout ça, quand ? Quand tout ça prendra-t-il fin ? Suis-je censée me ronger nuit et jour jusqu’à ma mort ? Je n’arrive plus à trouver le sommeil, des images me hantent, plus rien a de sens, à part continuer… Cette existence, aimer ? Je ne suis pas sûre de pouvoir aimer, j’ai 40 ans, qui voudrait d’une femme comme moi ? Au caractère de cochon et au tempérament de feu, à la volonté de fer. J’ai un but dans ma vie, me venger et protéger ce qui reste de ma famille et j’y arriverai par n’importe quel moyen. Il m’arrive le matin quand je me regarde dans le miroir de ne plus reconnaître cette femme. J’ai changé, je suis différente, déterminée… Insatisfaite… Je ne pourrais vivre tant que cet homme vivra… Si seulement je trouvais une solution… Je suis vraiment sotte, voilà que j’écris un journal… Allez promis demain, je me soigne… Amber, tu n’as plus 15 ans, grandit un peu avant qu’il ne soit trop tard… Malheureusement…

Il est déjà trop tard… »